VLAD
- Vlad ! Viens ici, qu'est-ce que tu fabriques encore ??
- J'arrive m'man...
Vlad se détache tant bien que mal de son occupation principale de ces vacances d'été : la console. Il arrive dans la salle à manger où son père, sa mère et son frère l'attendent, les deux premiers un regard furibond au fond des yeux, alors que le dernier se contente simplement d'engloutir tout ce qu'il trouve dans son assiette, sans attendre que son grand frère soit assis à table.
- Assieds-toi et amène ton auge, lui dit sa mère sur un ton impérieux.
Vlad s'exécute et commence à manger la pintade sauce au poivre et les brocolis servis par sa mère. Pendant tout le repas, ses parents discutent de son avenir, sans lui demander son avis. Après le fromage, Vlad commence à en avoir plein les oreilles, mais se retient d'intervenir
- Et s'il faisait une fac de sciences ? Avec le Bac S qu'il vient d'avoir avec mention Très Bien il peut se le permettre, non ?
- Mais tu sais bien que ça ne lui plaira pas, il préfère écrire que faire des calculs ou étudier des effets chimiques ou autres...
"Un point pour maman, pense Vlad, elle a toujours été plus sensible à ce qui me touchait vraiment."
- Une faculté d'économie alors ? insiste son père.
- Mais arrête un peu avec tout ça, il lui faut des études littéraires à ce petit, c'est là qu'il s'épanouira le mieux !
- Ah oui, gronde le père, et après, il va trouver quoi comme travail ? Il essaiera d'écrire quelques textes qui ne seront jamais publiés, ou, s'il a la chance de se faire publier, ça ne sera qu'à si peu d'exemplaires qu'il ne pourra jamais en vivre !! Et je ne veux pas le garder à la maison jusqu'à ses trente-cinq ans !! Et je suis certain que lui non plus, s'empresse-t-il d'ajouter.
"Un point pour papa, balle au centre, à moi d'intervenir."
- Et si vous me demandiez mon avis ?
Regard éberlué des deux concernés.
- Après tout, c'est de mon avenir A MOI dont vous parlez.
Regard non moins interloqué.
- Vous voulez tous les deux le meilleur pour moi, mais si vous me demandiez vraiment ce qui me plait ? Peut-être serez-vous surpris de la réponse.
Son père et sa mère se regardent, complètement désorientés par sa prise de position : jamais dans la famille quelqu'un n'avait réussi à interrompre ses parents lorsqu'ils conversaient ensemble ! Vlad se lève et débarasse son assiette, il prend une pêche et revient s'asseoir à table, attendant une réaction articulée d'un de ses deux géniteurs. C'est sa mère la première à se resaisir :
- Et bien, nous t'écoutons Vlad, dis-nous ce que tu aimerais vraiment faire.
Elle regarde son mari, cherchant un signe d'approbation.
- Oui, Vlad, qu'aimerais-tu réellement faire, nous t'écoutons.
-... Musicien.
-... !
-... !
Le silence qui s'est posé comme une chappe de plomb sur la table de la salle à manger ne se brise que lorsque Sergeï rote joyeusement après avoir ingurgité plus de nourriture que le reste de sa famille réuni.
- Sergeï !
- Oups ! Pardon ! Hihihihihihi !
Mais cela ne fait rire que lui.
Cette fois-ci, c'est son père qui prend la parole le premier :
- Et, de quel instrument vas-tu jouer ? Tu n'as jamais pris de cours et tu n'en possèdes aucun !!!
Farouche hochement de tête approbateur de la part de sa mère.
- Pas besoin d'instruments de nos jours, tout se fait sur ordinateur, d'ailleurs, j'en suis à mon troisième album, et je dois dire que je suis assez fier de moi ! Ca marche pas mal du tout !
- Comment ça "ça marche pas mal du tout" ?
- Comment ça un troisième album ? Mais quand ? Comment ?
- Pour répondre à maman : depuis que vous m'avez offert l'ordinateur. Dès que je l'ai eu, j'ai téléchargé un logiciel permettant de faire de la musique, je me suis acheté un micro, et voilà. J'ai eu l'occasion d'en écrire trois depuis ces cinq dernières années. Bon, c'est sûr que le premier n'est pas terrible, mais il a plu, le deuxième mieux et là, le troisième marche très fort. Pour répondre à papa : Ben je les vends sur internet. Oh, pas cher bien sûr, mais ça m'a permis de changer de PC, d'acheter du vrai matériel pour progresser au niveau son et micro, bref, je veux en faire mon métier.
- Mais tu es fou ? s'exclame sa mère. Ca n'est pas un métier de faire de la musique avec un ordinateur !
Silence du père, le regard dans le vide, songeur.
- Mais enfin Arkady ! Dis-lui que ce n'est pas un métier ! Réagis, que diable !
- Mais qu'est-ce que tu veux que je lui dise à la fin ? explose Arkady. Après tout, si ça marche, autant qu'il continue, non ? Fiston, tu es sûr, quand même, que tu pourras en vivre ?
- Oui. Et puis de toute façon, je ne veux faire que ça. D'ailleurs, je suis déjà inscrit à l'école de musique de Bistritza depuis trois mois, et je n'avais pas encore trouvé le moyen de vous le dire. maintenant, C'est fait.
- Tu es inscrit ? Depuis trois mois ? Ah ben ça... sa mère secoue la tête dans tous les sens en signe d'incompréhension totale.
- Tu t'es débrouillé tout seul pour ça, très bien, mais comment vas-tu faire pour te loger là-bas ? demande son père.
- J'ai déjà "préloué" un petit studio avec un ami qui s'est aussi inscrit là-bas. On doit emménager le quatre septembre.
- Et... ton loyer ? s'inquiète Arkady
- J'ai aussi fait une demande de bourse qui m'a été autorisée. Avec ce que j'ai mis de côté des ventes des albums plus le peu de bourse obtenu, j'aurais assez pour payer le loyer, les charges, ma bouffe et même peut-être quelques à-côtés ! réplique Vlad rayonnant.
- Ah ben ça ! s'exclame sa mère qui n'en revient toujours pas.
- Et ben, ma foi, moi je trouve ça très bien ! Ilona, ne te fais pas de souci, il a déjà tout prévu et tu sais qu'il est au moins aussi entêté que toi ce garçon, alors il y arrivera !
"Ah, pour une fois il n'a pas tort à mon sujet, ravi de voir qu'il est de mon côté cette fois!" pense Vlad en débarrassant son verre et jetant son noyau de pêche.
- Donc, vous n'avez plus que deux mois à me supporter, dit-il en souriant à ses parents, se dirigeant vers sa chambre.
S'il a eu droit à une réponse, elle n'a été formulée à haute voix qu'après qu'il ait refermé sa porte et ne l'a donc pas entendue.
A peine arrivé dans sa chambre, Vlad allume son PC et regarde un peu où en sont les ventes de ses disques : pas mal pour quelqu'un qui n'a vu ni producteur, ni musiciens, ni chanteur ! Avec son petit pactole, il a largement de quoi payer son futur loyer pendant les quatre ans de sa formation à l'école de musique. Un seul doute reste : cette école va-t-elle répondre à toutes ses attentes ?
La réponse, qu'il ne connaîtra que bien plus tard, est oui... et bien plus encore...
En attendant, Vlad a deux mois d'été à "tuer". Après avoir vaguement jeté un oeil à ses mails, il retourne sur la console "j'aurais bien assez de temps pour la musique une fois à l'école, autant profiter de mes autres "loisirs" avant !"
L'été tirant à sa fin, Vlad prépare ses cartons pour déménager. Il a lutté pendant deux mois pour que ses parents ne l'aident pas à tout amener dans son nouveau studio. Son ami Kergan ayant une voiture et emménageant au même endroit, ils se débrouilleront bien tous les deux. Le combat fut rude, mais Vlad a vaincu : première pierre à l'édifice d'autonomie qu'il est impatient de pouvoir se construire.
Son portable sonne : c'est Kergan
- Allô ?
- Ouais, c'est moi, je passe dans une demi heure, ça te va ?
- Ouais, ça roule.
- Tu seras prêt ? Parce que c'est la misère pour se garer devant chez toi !
- Ouais je sais. Je serais prêt, je commence à tout descendre dans le hall.
- Okay, cool, à de suite.
- Bye.
Bon, opération brans-le bas de combat : descendre tout ce fatras jeté en vrac dans les cartons qui ne ferment pas, quatre étages plus bas, sans ascenseur. Voyons voir, celui-là a l'air moins lourd que les deux d'à côté...
- huuuuuumpfffff, mouais, si celui-ci est le plus léger, ben je vais finir comme Hulk !
Après plusieurs allers-retours encombrés de "Tu es sûr que tu veux pas un coup de main, fils ?" ou encore "Mais mon chéri, tu vas te fatiguer comme ça ! Demande à ton père, il va te descendre les cartons les plus lourds !" ou bien aussi "ouais, Vladeuh part euh, Vladeuh part euh ! Je vais prendre ta chambreuh ! Je vais tout casser ton lit euh !" la sonnerie retentit : c'est Kergan.
- Salut Kerg !
- Slaut Vlad, pinaise, mais ça va jamais tout rentrer dans la voiture ça !! J'ai pas une "familiale" moi !
- Ahahah ! T'inkiète, c'est "compressable" !
- Mouais...
Kergan a l'air plus inquiet pour sa voiture qu'enthousiaste pour le voyage. Malgré tout, il aide Vlad à entasser ses affaires au-dessus des siennes, qui prennent pourtant déjà pas mal de place.
Près d'une heure après son arrivée Kergan soupire enfin :
- Ca y est ! On y est arrivé !!! Heureusement que ce n'est qu'à une grosse heure de route, pas plus, sinon, je ne sais pas si la voiture aurait tenu le coup !
- Mais si, allez, hop ! On y go ?
- Beuh ? Tu dis pas aurevoir à tes parents ?
- Ah ? Euh... Ouais, sinon ça va les froisser quand même...
Dans l'escalier, Vlad hurle :
- M'man ? P'pa ? Petit con ? Profitez bien !!! Bye !
Et sans attendre de réponse, Vlad monte dans la voiture de son comparse et les voilà partis...
- Tu te rappelles le jour où on est arrivé ici ? Ahahah !
- Ouiiiii, pinaise ! On croyait que la voiture allait nous lâcher d'une minute à l'autre !! Ahahahah !
- 'Faut dire que t'avais absolument TOUT pris !
- Ben ouais, et plains-toi ! Ca t'as bien servir pendant ces quatre ans hein ?
- C'est le moins qu'on puisse dire, je ne sais pas comment te remercier, c'est un peu grâce à toi et tout ça que j'ai eu mon examen.
- Bah, t'aurais fait la même chose pour moi non ?
- Ouais, c'est sûr, mais merci quand même !
- Ben de rien. Ah ! Les voilà !
- Ces bonnes femmes, toujours à se faire désirer !!
- Ouais, m'en parle pas ! Salut les poulettes !
- Salut Vlad, répondirent-elles en choeur. Salut Kerg !
- Salut les filles, alors, on va où pour fêter ça ?
- Je vous propose le bistrot du coin, vous savez, celui de la petite rue sombre qui vous fiche la chair de poule les filles, Ouh ouh !!! porpose Vlad avec toute une mise en scène se voulant effrayante.
- Pfff, t'es pas drôle Vlad ! Ca ne m'inspire vraiment pas confiance cet endroit, réplique Zsuzanna, lui prenant le bras pour se serrer contre lui.
- Oh, allez ma puce, dedans c'est peut-être très chaleureux ? Mais pour savoir, il faut y aller ! Ca vous dit tous les deux ? Hey ! Vous avez fini de vous bécotter quand on discute ? Ajoute Vlad avec un sourire.
- Ouais, pourquoi pas, répond Kergan, c'est le seul de la ville où nous ne sommes jamais allés. Ca te dit Ana ?
- Bof, pas trop, mais Vlad a peut-être raison, si ça se trouve c'est vraiment bien dedans.
- Ouais, allez, encourage Vlad, il faut tenter le coup !
- Bon, je me range à l'avis de la majorité alors, concède Zsuzanna.
Quelques minutes de voiture plus tard, les voilà tout près de la ruelle sombre abritant le fameux bistrot. Ils se dirigent tous les quatre d'un pas vif et un sourire sur les lèvres, parlant de tout et de rien. Arrivés devant l'entrée gardé par un énorme videur dont la carrure faisait penser à celle d'un terrible Golgoth, leurs sourires s'effacent progressivement alors que le Golgoth, la peau aussi noire que ses vêtements, les regarde s'approcher d'un oeil mauvais.
- Où vous comptez aller les jeunes ?
- Et bien, à l'intérieur, s'enhardit Vlad.
Une déchirure apparait alors dans la face du Golgoth laissant place à du blanc reluisant. Un sourire.
- Et bien entrez mes jeunes amis, dit le Golgoth sans se départir de sa déchirure éblouissante, en leur ouvrant la porte.
Après une demi seconde d'hésitation, Vlad pénètre à l'intérieur, suivi de Zsuzanna qui refuse de lui lâcher le bras, Kerg et Ana sur leurs talons.
en cours (depuis des années-lumière !)
