Fire in Voïd
Tout était calme dans la salle de contrôle du vaisseau spatial de gros tonnage. Seuls les bruits des quelques communications des officiers de pont et des ordinateurs de calculs divers émiettaient le silence. Un des officiers, un dénommé Carter, se tourna vers l'amiral Rosemondy, qui trônait au milieu de la salle dans son fier uniforme vert jade tirant sur le noir. Une étoile d'argent ornait son épaule gauche, indiquant son grade.
- Amiral, je crois que nous avons retrouvé sa trace.
- Hé bien n'attendez pas, officier, mettez-nous sur sa trajectoire et passez en mode poursuite.
L'amiral de la flotte Kypafys, commandant du destroyer stellaire "Star's Ender", s'ouvrit un canal prioritaire avec l'amirauté :
- A tous les commandants de vaisseau de la flotte 6-15-Grataï, alignez-vous sur le "Star's Ender", nous avons retrouvé sa piste.
Le vaisseau vit ses tuyères de propulsion protonique s'ouvrir telles des valves d'admission contrôlée. Cinq brasiers gigantesques vinrent arroser d'une couleur verte, puissante, le vide obscur de l'espace du système Anoa.
Le vaisseau et la flotte se retrouvèrent au point de rendez-vous pour l'alignement de saut spatial : à mi-chemin entre les deux planètes principales du système. Toute la flotte convergea vers ce point et se mit en position d'attente, activant les titanesques et innombrables systèmes d'armement triotroniques et atomiques, ainsi que leurs douzaines de batteries laser de coque, en vue de la bataille à venir.
Cinquante escadrons d'escorteurs, dix vaisseaux d'abordage, quatre frégates de bataille et trois destroyers stellaires constituaient la flotte mise en place pour effectuer cette mission. Beaucoup de guerres auraient pu se déclencher avec si "peu" de forces armées.... Juste de quoi anéantir plusieurs planètes....
En quelques minutes, la flotte Kypafys fut alignée, et parée à sauter en trans-spatial. L'ordre fut donné, et les vaisseaux disparurent tous l'un après l'autre, dans des éclairs émeraude irradiant des centaines de kilomètres alentours la poussière d'étoiles de l'espace.
Il débarquèrent à près de cinq systèmes de là, où le but de leur mission avait été détecté. Cette mission avait été affrétée après qu'une force inconnue ait réduit à néant la planète Gamma-Coriolis du système natal de tous ces soldats de l'espace. C'était non seulement effrayant, vu que la force en question n'avait pu être identifiée assez rapidement, mais d'autant plus troublant que cette dernière était apparue au coeur même du système, annihilant en un clin d'oeil la population d'une planète entière, ne laissant que mort et dévastation avant de disparaître comme elle était venue.
Les généraux et supérieurs de l'amiral Rosemondy ne s'étaient pas laissés abattre par un tel fléau, et avaient réagi juste assez vite pour que l'Ennemi ne puisse pas s'enfuir impunément et qu'il puisse être rattrapé par une justice vengeresse pour ces douze milliards de morts sans préavis et sans raisons !
Cette mission était une mission d'éradication, et elle touchait à son terme.
Les coordonnées relevées de la force adverse l'indiquaient ici, et permettraient son identification avant qu'elle paie le prix de son affront plus que criminel.
L'amiral fit ouvrir des canaux sur tous les vaisseaux, afin de relayer l'information au plus vite, et commença à distribuer ses ordres :
- Relevés topographiques ! Vitesse et vecteur d'approche ! Analyse thermique, triotronique et atomique ! Vite, je veux savoir à quoi nous avons affaire !
- Amiral, le commandant du "Fallen Angel" nous indique que le potentiel offensif des coordonnées ennemies se réduit à une seule unité.
- Comment cela, officier ? Vous voudriez me faire croire que nous pourchassons un vaisseau solitaire ??
- Deux vaisseaux viennent de nous le confirmer. Les coordonnées ne désignent qu'un seul adversaire.
- Vous avez scanné tout le système ?
- Oui, amiral.
- Alors recommencez, et analysez-moi toutes les planètes du secteur, champ de brouillage et magnétisme naturel compris. Envoyez quatre escadrilles et une frégate dans les systèmes limitrophes aussi, je ne veux aucune surprise.
- Bien, amiral.
L'amiral Rosemondy se retourna vers ses écrans de contrôle, et y lut que la cible avait été localisée précisément. L'écran ne précisait toutefois pas de quoi il s'agissait, et l'amiral dut le demander autour de lui. Un officier des communications se chargea de récolter des informations...
- Alors, officier ?
- Hé bien, amiral... c'est.... enfin....
- Quoi ? Dites-le moi, officier. Vous devez une réponse aux morts de Gamma-Coriolis.
- C'est que... c'est impossible, ce que nous avons là. Il s'agissait de quelque chose de si petit qu'il a échappé à presque tous nos capteurs de masse.
- Allez-y.
- Soit : ça a la taille d'un humain...
L'amiral resta d'abord sans voix.... il hésita quelques secondes, le temps de se rappeler que l'information avait largement eu le temps d'être vérifiée par la plupart des vaisseaux maintenant. Il n'avait rien perdu de sa prestance, mais il était sérieusement ébranlé par une telle nouvelle.
- Visuel, s'il vous plaît.
Le panneau extérieur du vaisseau s'ouvrit. Un écran de contrôle s'activa, afin de lui permettre de voir ce qu'il ne pouvait déceler par le panorama qui s'offrait à lui. Tout d'abord, l'écran ne fut qu'un double décalé vers le bas de ce qu'il voyait par le hublot hémisphérique. Puis l'écran zooma par paliers, lui permettant de se focaliser sur un point brillant qui apparaissait peu à peu.
Une silhouette, effectivement humanoïde, d'un jaune tellement brillant qu'il tirait sur le blanc, se dessina par contraste avec l'espace noir constellé de points étoilés. Le zoom se poursuivait tandis que l'amiral donnait ses ordres :
- Annihilez-moi ça. Champs de protection au maximum. Donnez l'ordre à la flotte : activez les canons et les ogives triotroniques.
- Triotroniques activés.
Un homme de flamme, de dos, apparut sur l'écran. Indéniablement vivant, il fonçait à une vitesse hallucinante dans le vide intersidéral.
- Ordres transmis, amiral, la flotte est en mouvement.
- Sonnez la charge.
- Bien amiral.
Rosemondy se concentra sur la forme humaine. Une armure simple de métal gris lui recouvrait épaules, avant-bras et mollets. Les flammes d'une intensité très importante le parcouraient, léchant sa silhouette effilée malgré l'absence de toute atmosphère. L'amiral entendait machinalement les ordres qui fusaient dans la salle de contrôle du "Star's Ender".
- Lasers activés.
- Mise en dérive.
- Acquisition de cible. Les frégates sont au rapport.
L'homme quasi-androgyne se retourna, comme si la flotte de guerre à ses trousses n'était que de vulgaires poursuivants sur terre ferme. Un masque enchâssait son visage de gris. Une fente à hauteur d'yeux brillait d'un rouge qui n'évoquait qu'une seule définition chez Rosemondy : "protubérance solaire".
- Tuyères en vitesse de poursuite. Tubes triotroniques en masse critique.
- A portée dans 4..3...2...1
- En attente de l'ordre de tir, mon amiral.
L'amiral observa encore quelques instants son adversaire, qui semblait faire de même à travers l'écran en zoom impressionnant. Une poignée de secondes passa, mais aucun semblant de doute ne fit faiblir la voix de l'amiral :
- Feu !
Une salve de quarante-huit missiles partit en filant. Des éclairs de toutes les couleurs commencèrent à zébrer l'espace. Peu atteignirent la cible, mais cela aurait dû suffire... Mais l'homme de feu incandescent continuait de bouger dans le silence galactique. Un rayon bleu azur fit trembler tout le vaisseau. Crépitants d'énergie mal contenue, les tubes de propulsions triotroniques donnaient de la voix. Un seul de ces tirs, léchés d'explosion interne d'un mauve absolu, aurait suffi à détruire une planète.
L'androgyne de feu fut pris en plein dans le faisceau du premier...
Toute la salle de contrôle retint sa respiration alors que les batteries lasers et les missiles atomiques continuaient leur concert de dévastation et d'écrans de diffusion radioactifs...
Mais la silhouette réapparut, recroquevillée sur elle-même. La position et la gestuelle de l'être stellaire ne laissaient le droit qu'à une seule interprétation. L'amiral cria :
- Il est touché ! Feu, feu, feu !
- Tubes en rechargement.
- Passez sur la batterie quatre.
- Salve de missiles vingt envoyée.
- Tous les cadrans au vert, idem pour la flotte.
- Pilonnez-le moi ! Cria l'amiral par-dessus le tumulte de la salle de contrôle en pleine effervescence.
Même si l'assaut était unilatéral, la flotte Kypafys déployait une telle force de frappe qu'on aurait cru que la dernière heure de l'univers était venue... Plusieurs faisceaux triotroniques vinrent ponctuer le déluge de lasers et de missiles de dispersion, faisant trembler sur ses bases le "Star's Ender" à chaque fois. Ils touchaient tous, mais l'ennemi semblait presque s'en moquer, maintenant. L'effet de surprise n'avait eu qu'un temps...
L'amiral passa de la confiance absolue à la consternation, puis à l'ébahissement le plus total quand l'être de flammes décida de mettre en route sa riposte.
Rosemondy le vit sur son écran, tendant une main impérieuse devant lui, et serrant le poing, tout doucement. Le geste eu un écho dans le vaisseau destroyer, alors que des craquements sinistres se firent entendre.
- Déployez les fermetures hermétiques !!! S'empressa d'ordonner l'amiral.
- Système de contention activé.
L'amiral se tendit pour attendre qu'on lui apprenne ce qui s'était passé, mais le découvrit tout seul : plus un seul laser ne partait des vaisseaux de la flotte...
- Par toutes les Puissances ! C'est... c'est impossible !
Un silence de plomb était tombé sur la passerelle de commandement. Un nouveau tremblement : un rayon triotronique partit. L'homme, qui tendait déjà son autre main, dut s'arrêter pour exécuter une pirouette sur lui-même. Cela eut pour effet de dévier le rayon d'une vingtaine de mètres de diamètre qui le prenait pour cible. Le rayon destructeur toucha un planétoïde, un satellite de la planète principale.
Ce dernier se fragmenta, son noyau se fissionnant sous l'afflux d'énergie affolant de puissance ! Une onde de choc se répandit silencieusement en une corolle rougeâtre, avec une lenteur irrépressible, vers la flotte Kypafys...
- Accrochez-vous !
Une dizaine de secondes passa, puis la passerelle devint un chaos de mouvements brusques et incontrôlés alors que l'onde le traversait. Cela dura une bonne minute, après laquelle on constata quelques contusions et coupures, sans autres accidents malheureux.
Les officiers de pont purent découvrir un spectacle d'une beauté terrifiante : le satellite de la planète avait vu tout un morceau de sa structure se volatiliser, alors que le reste évoquait un fruit brisé d'une dimension sans commune mesure qui s'étalait lentement dans le vide sans gravitation. Le noyau pulvérisé, le planétoïde se désagrégeait....
L'énormité de ce que ces soldats voyaient supprimait tout autre considération, dans une contemplation effrayante de conséquences. Presque hypnotisé par la vision apocalyptique, pourtant connue, l'amiral déclara :
- A tous les vaisseaux, cessez sur-le-champ les tirs de canons triotroniques...
Cinq minutes s'étaient égrenées en douceur, tirant au plus fort l'effet dramatique de leur incapacité à lutter contre un tel ennemi...
Néanmoins, l'amiral ne pouvait reculer, et aucun de ses soldats ne l'auraient fait s'il l'avait ordonné, de toute manière. Comme il l'avait si bien dit, les douze milliards d'habitants de Gamma-Coriolis réclamaient vengeance !
La flotte déchaîna une fois de plus sa force d'éradication, et fut inlassablement inefficace, ou si peu. Un à un, les canons furent brisés par l'être tout-puissant, comprimés, détruits, implosés. Bientôt le silence fut rétabli de nouveau dans toute la flotte...
Leurs vaisseaux pointaient courageusement de l'avant, comme reflétant l'esprit de leurs occupants. Ils attendaient leur exécution, priant pour que d'autres viennent les venger. Avec une fierté mutine, tous restèrent à leur poste. Certains vaisseaux étaient gravement endommagés, d'autres moins, mais tous firent comprendre à l'homme de feu qu'il n'y aurait aucun compromis à leur désir de justice...
L'amiral regardait désormais droit devant lui, par le hublot hémisphérique. Il distinguait le point représenté par son écran, cet homme pour lequel il avait guidé cette expédition pendant trois semaines de croisade furieuse. Maintenant il irradiait le courage d'un homme qui a tout essayé, et que la peur étreint sans le dominer...
Après dix minutes de silence oppressant, l'être de feu bougea sur l'écran. C'était d'ailleurs presque la seule chose qui bougeait dans la salle de contrôle, car tous s'étaient arrêtés pour contempler sans faillir ce que l'écran voudrait bien leur montrer. Leur sentence s'afficherait sur cet écran, et l'homme incandescent y travaillait...
Cela fut rapide.
Une boule de lumière jaune orangée apparut dans ses mains dressées au-dessus de sa tête. Elle grandit en une sphère parfaite à une vitesse exponentielle. Les officiers hoquetèrent, tandis que Rosemondy put bientôt voir pourquoi. La sphère prit des proportions dantesques, et grandit encore, encore, encore, encore ! Les yeux de l'amiral s'ouvrirent à mesure.
La sphère prit une luminosité brûlante tout en continuant son expansion incroyable...
Certains commencèrent à se protéger les yeux alors que la température de la pièce augmentait. Bientôt, tout le champ de vision par le hublot serait envahi. La bouche de Rosemondy s'affaissa lentement alors qu'il prenait conscience de ce que faisait l'être.
Un officier regarda pour la dernière fois les résultats d'analyse automatique du vaisseau alors que la sphère avait atteint des proportions inimaginables, au moins mille fois plus grande désormais que le "Star's Ender".
- Par les Puissances, il vient de créer un soleil...
Et cela continuait de grandir, grandir, grandir, grandir....
Toute la flotte fut englobée en une demi-minute, juste le temps d'un long cri des équipages carbonisés par l'étoile stellaire....
...
Piru contempla son oeuvre...
Le soleil était en train d'absorber et de détruire toutes les planètes du système, mais le Dieu fadraxien s'en fichait...
Un grain de sable dans l'univers....
Qu'ont-ils eu besoin de venir me pourchasser ?
Les caprices d'un Dieu font Loi.... Ignorent-ils que je tentais de les sauver d'un Marcheur Stellaire qui naissait sur leur pathétique planète ?
Même les dieux peuvent reconnaître leurs erreurs... j'aurais dû les laisser se débrouiller...
Piru fit l'équivalent d'un sourire sous son masque. D'ici un à deux jours, ils auraient oublié jusqu'à l'existence de cet incident, simple contretemps dans ses occupations autrement supérieures que la survie ou la vengeance d'une douzaine de milliards d'êtres vivants...
Ainsi va Fadrax...
Par Skatlan.