Le verre cassé
Dans la salle sale du bar tabac de la rue des Martyres, la lumière tamisée par l'épais nuage de fumée, les ragots et les rires se mêlaient sans gène. Flottant au dessus de la mousse des bières, la musique était aussi diverse que changeante. Et si son bras n'était pas resté collé sur la table mal essuyée, il aurait pu rattraper le verre qui explosa par terre, envoyant de tous les cotés des bombes coupantes et humides. Il ne se serait pas baissé pour tenter de ramasser les éclats et n'aurait jamais rencontré la chevelure dorée qui l'aidait à nettoyer. Un parfum de fleurs de tabac lui sourit et des yeux lavasses lui dirent « Salut !». Les doigts sucrés s'agitaient sur le carrelage, les dos restaient courbés par manque d'envie de se relever. Les mains se guettaient, s'entraidaient, l'une récipient, l'autre pince-ramasse-miettes. Quand plus aucune raison ne les retenait au sol, les bras s'accoudèrent à nouveau sur les petits ronds de fonds de verres et les mains retinrent deux têtes contentes d'avoir vu l'autre. Les yeux lavasses demandèrent aux deux autres si leur présence ne les dérangeaient pas.
-« Non, non ! » répondirent les yeux marrons, « d'ailleurs je suis seul ! ». Les fesses se posèrent sur la chaise d'en face et les jambes se glissèrent sous la table. C'est lorsque le pied botté rencontra le pied basket que ces deux charmants paumés surent que leur chance était dans la fumée bleutée qui tamisait la lumière de la salle sale du bar tabac de la rue des Martyres...
Par Zoé.