Tyron & Matteo
[Episode 2 : Le passeur]
Le blond en imper de cuir, Tyron, jouait avec un cylindre à messages, affalé avec classe dans le fauteuil de cuir, la lumière verdâtre des écrans d'affichage holographique éclairant chichement la pièce. Il semblait particulièrement distrait et bougon, mais Matteo savait, comme son patron en face de lui, que cela n'était qu'une façade.
- Votre dernière mission a été un demi-succès, déclara d'une voix monotone l'employeur de l'ASE, de derrière son bureau élégant et de son regard d'acier trempé.
L'homme était bedonnant, mais son costume noir taillé sur mesure le mettait parfaitement en valeur. Un homme compétent, c'était l'impression qu'il donnait, et c'était exactement ce qu'il était.
Il se tourna sur sa chaise, et vint attraper un disque de transmission, de cinq centimètres de diamètre, pour l'insérer dans la machine holographique.
Un tas de rapports défilèrent rapidement sur le carré vert presque transparent qui lévitait au dessus du bureau, légèrement à gauche de l'homme au costume noir. La fumée de son cigare fit crépiter l'écran impalpable, mais l'homme était déjà passé à autre chose.
- L'entrepôt de West-Kylors, annonça le patron tandis que l'écran de jade changeait. Une carte y apparut, et il tourna le projecteur vers les deux agents sous ses ordres.
Ceux-ci lui prêtèrent toute l'attention qu'il était possible d'avoir.
- Il a explosé. Sabotage. Une cargaison de puces de contrôle a été déployée dans la nature, en vu d'être récupérée par nos services.
Comme vous le savez déjà, la procédure d'urgence lors d'une attaque sur nos succursales est de faire "passer" les prototypes et les marchandises qui peuvent l'être à des personnes n'ayant aucun lien avec l'ASE. Ces personnes sont choisies totalement au hasard parmi les registres interplanétaires, et les marchandises leur sont administrées à leur insu. Une surveillance extrêmement faible est exercée, si bien que ces "passeurs" sont indétectables et introuvables par des moyens logiques et organisés, car ils vaquent à leurs occupations de manière erratique et irrationnelle, inconscients de leur rôle.
La liste des passeurs potentiels est la première chose visée lors d'une attaque de nos agences, et par conséquent, est ce qu'il y a de mieux protégé et ce qui est détruit en premier pour éviter de tomber aux mains malavisées.
Il ne nous reste plus, une fois les passeurs "activés", qu'à les chercher tous, et à récupérer ce qui doit l'être. Une nouvelle liste est constituée une fois la récupération effectuée.
L'homme bedonnant marqua un temps, des volutes de fumée s'échappant de son cigare, placé dans le cendrier.
C'était étonnant de noter qu'il avait toujours un cigare allumé, mais qu'il ne le fumait presque jamais, le laissant se consumer dans un coin du long bureau d'obsidienne.
Il reprit :
- Voilà votre mission. (Il fit glisser un dossier de données sur papier.) Un prototype de puce électronique a été "passé". La puce est indestructible, sauf par deux choses : la mort de son porteur, et un certain type de rayonnement, émis par cet objet (il tendit un petit boîtier à Matteo, qui le prit et le fit disparaître dans son costume blanc impeccable). A n'utiliser qu'en dernier recours.
La puce est interne, le but de la mission est donc de ramener le porteur vivant à nos labos pour qu'on puisse l'extraire.
Votre destination est la planète Merhuos. Vous avez un contact sur place, Randall Timehns, qui vous informera de toutes les autres choses que je ne sais pas.
Le reste est dans le dossier, c'est à vous maintenant.
L'homme au regard bleu métal s'appuya de manière décontractée sur son siège. Tyron posa le cylindre avec lequel il jouait, et se leva en même temps que son acolyte à la queue de cheval, Matteo. Ils sortirent de la pièce, prirent l'ascenseur, et ouvrirent seulement à ce moment le dossier.
Le vaisseau arriva à grande vitesse dans l'orbite haute de la planète. Même de l'espace, on pouvait distinguer toute la surface gris foncé zébrée de routes, d'avenues et d'artères de circulation de la giga métropole planétaire. La ville avait grandi jusqu'à s'étaler sur toute la surface de la planète, absorbant toutes les autres, et donnant au corps stellaire son nom : Merhuos. Le gouvernement fédéral avait depuis longtemps cessé de subventionner la police et l'armée, voir même l'économie, laissant les ultra-corporations s'en occuper bien mieux. C'était dans l'intérêt de ces corporations de faire régner l'ordre et la justice. Un citoyen malheureux est un citoyen qui n'achète rien ! On trouvait donc des patrouilles de la milice un peu partout, même si l'ampleur et la complexité du réseau de communication terrestre comme aérien laissaient le champ libre à tout un tas de malfrats de plus ou moins grande envergure. Merhuos, repère des contrebandiers, des chasseurs de primes et des miliciens zélés et brutaux en tout genre...
- Vaisseau identifié de la Réseau-Corp, crachota la tour de contrôle planétaire dans un haut-parleur de l'astronef de petit tonnage de Tyron et Matteo. Piste 47, voie D, quai n°5, fenêtre d'atterrissage : 10 minutes et 13 secondes solariennes.
- On prend, tour de contrôle Merhuos 4, terminé.
Huit minutes plus tard, l'engin banalisé touchait le sol et fut noté dans les registres. La succursale de la Réseau-Corp en base sur Merhuos s'était vue offrir un petit paquet de fusio-crédits pour "oublier" ce vol non prévu. Elle ne réagirait donc pas en apprenant qu'un de ses vaisseaux non enregistré dans leur banque c'était posé sur la planète sans autorisation officielle...
Un petit homme à la peau aussi noire que ses dents étaient blanches vint à la rencontre des missionnaires de l'ASE.
- Agent Tyron et Agent Matteo, je suppose ? Les accosta-t-il de but en blanc, avec une voix geignarde du plus bel effet. Randall Timehns, je suis votre contact.
Il leur offrit une généreuse poignée de main.
- C'est toujours un plaisir d'avoir de la visite. Vous arrivez à temps, y'a grosse urgence.
- Quel genre d'urgence ? Répondit Matteo du tac au tac.
- La date butoir est dans deux jours, mais ne grillons pas les étapes.
La jovialité de l'homme laissait transparaître quelqu'un de très à l'aise, et pour des yeux exercés, de très compétent. Randall ne quittait jamais son sourire, et finissait par être contagieux. Tandis que le trio continuait sa progression dans l'astroport, Randall en fit de même pour son récit :
- Le passeur est une jeune fille de six ans nommée Esäel Babylis, affectueusement surnommée "Boucles rousses".
Matteo sourit.
- Les milieux secrets de Merhuos pratiquent le trafic de jeunes enfants contre échange de rançon. C'est presque devenu un sport à l'encontre des magnats de l'économie des ultra-corpos. Les jeunes filles et garçons ainsi kidnappés passent de main en main sans subir aucun préjudice, et en contrepartie les magnats payent sans faire de vagues auprès des polices privées.
Certains ont même été jusqu'à passer de juteux contrats pour ne pas se faire kidnapper leurs enfants par telle ou telle organisation. Tout cela pour dire que les kidnappés ne sont guère plus que des marchandises sur pattes, et qu'ils peuvent voyager drôlement vite et drôlement loin.
Randall avait un accent étrange et une voix nasillarde qui renforçaient encore l'impression de fiabilité diligente qui se dégageait du petit personnage.
- Votre "Boucles rousses" est en ce moment aux mains d'un certain Mark Taurus, un bandit au palmarès sans faute qui a fait son trou dans les bas-quartiers du secteur 47. Il doit vendre la jeune fille à un commanditaire sans grande importance.
- Dites toujours ? Le coupa Tyron.
- Un homme d'une ultra-corpo concurrente à celle du père de la jeune fille. Rien à craindre de ce côté-là, faites-moi confiance, poursuivit l'énergique contact de l'ASE sans se démonter. Dans la soirée, la fille devrait se trouver avec Taurus dans une boite de nuit : le "Dance'Ark". La boite appartient à Taurus.
Après cela il faudra prendre ledit bandit en filature, car je n'ai pas pu obtenir le reste de son agenda.
Concernant la date butoir, toutes les infos sont là-dedans (il leur tendit un dossier), mais je suppose que vous ne prendrez pas le risque que la fille se retrouve planquée dans un bunker sécurisé de l'ultra-corpo concurrente, pas vrai ?
- Ca reste à voir, M. Timehns, rétorqua avec humour Matteo. Autre chose ?
- Oui, vous pouvez prendre un taxi en direction de l'hôtel Palacium, je vous ai réservé une chambre là-bas.
- Service royal ! Dit Tyron.
Randall se mit à rire de bon coeur, et partit se fondre dans la foule.
- Drôle de bonhomme, fit Tyron, songeur.
- Oui. Allez, direction le Palacium, et après : le Dance'Ark...
Le taxi qu'ils avaient pris les lâcha dans une rue qui n'avait pas vraiment d'attrait, sans être non plus un coupe-gorge. Une enseigne lumineuse qui ne marchait plus depuis longtemps, même à moitié, portait l'inscription "Hôtel Palacium".
- Royal, c'est ce que je disais, dit Tyron avec un petit rire.
- Ils sont arrivés, sire, dit une voix étouffée par l'émetteur mécanique sophistiqué.
- Ok, envoyez.
Les lunettes macroscopiques à infrarouges tenaient sans discontinuité les deux agents de l'ASE dans leur champ de vision. Une foule de données illuminait l'écran, défilant presque trop vite pour être lue.
Les deux hommes contrastant l'un par rapport à l'autre pénétrèrent dans le hall de petite taille de l'hôtel. Le réceptionniste se tourna bien évidemment vers celui au costume blanc impeccable et au port altier, le préférant au blond mal rasé en imper de cuir, qui ressemblait plus à la faune locale d'ailleurs, sans pour autant s'y intégrer.
- Messire ? Demanda-t-il à Matteo qui remettait sa queue de cheval d'un brun clair en place.
- Vous devez avoir une chambre pour nous, au nom de John Doe.
Le réceptionniste vérifia son registre, et dit sans relever le regard, une pointe de sarcasme dans la voix :
- J'ai plusieurs John Doe, messire.
- Regardez alors à Stephen Dorn (un nom d'emprunt standard de l'ASE).
Le réceptionniste tourna une page, puis pointa le nom :
- C'est bon. La note a été payée d'avance pour la nuit. Chambre 357.
Il leur tendit une clé, une languette de métal gravée parfaitement rectangulaire.
Arrivé dans la chambre, le confort s'avéra plus grand que ne laissait présager la devanture de l'hôtel. Pas insalubre pour deux sous, la chambre était même d'un luxe très modeste, mais d'un goût certain.
Tyron et Matteo n'eurent pas exactement le temps de détailler, car un bruit étrange venant de dehors attira leur attention à tous deux.
Regardant par la fenêtre au double vitrage imposant, ils virent approcher rapidement une silhouette, soutenue par des bottes à propulseurs à même les airs.
Avant de pouvoir réagir, les agents de l'ASE furent repoussés contre le mur du fond par le souffle de l'explosion qui fit voler en éclats la vitre.
Le bruit sourd des jet-boots devint beaucoup plus clair. Les deux hommes reprirent leurs esprits et virent l'intrus. Un chapeau de cowboy, un imper poussiéreux dont on avait coupé les manches, une paire de gros gants de cuir et un jean élimé : l'homme de haute stature avait tout d'un explorateur du farwest.
Un menton carré et râpeux et un rictus mauvais aux lèvres apparaissaient sous le chapeau.
Les agents de l'ASE croisèrent son regard : un oeil rouge rectangulaire, à la verticale, l'autre normal et bleu pâle. Un oeil bionique donc, doté de calculateur de masse et de nombre d'autres gadgets. Les deux bras étaient en métal protéiforme, imitant à la perfection des bras humains.
- Un cyborg ! S'écria Tyron.
Une rafale de plasma de faible intensité l'envoya bouler. L'homme parla d'une voix caverneuse :
- Non pas. Pas seulement en tout cas.
L'intrus fit un sourire à Matteo, et empoigna de nouveau son long fusil à plasma, qu'on aurait presque dit fait pour ressembler à une winchester antique, si ce n'était le design indubitablement high-tech.
Matteo avait envie de lui poser plusieurs questions, mais aucune n'était assez valable pour franchir ses lèvres scellées.
"Qui es-tu ?" Quelle utilité cela aurait de le savoir ? Sans compter qu'il pourrait répondre par un nom d'emprunt.
"Que veux-tu ?" C'est pourtant clair : nous tuer, ou nous capturer...
"Qui t'envoie ?" Cela était voyant que le cowboy n'était qu'un intermédiaire... Un chasseur de primes alors ? Possible, voire même probable, et dans ce cas comme dans tous les autres, il ne semble pas vraiment prêt à vendre la mèche...
Ce monologue intérieur avait duré une fraction de seconde, et Matteo l'avait déjà fini quand le fusil rugit deux nouvelles fois dans sa direction.
Il esquiva d'une acrobatie parfaitement maîtrisée et se tint prêt à en découdre.
Le cowboy sourit :
- Tu n'es pas une proie facile, à ce qu'on dirait... Je comprends pourquoi on a eu besoin de mes services...
Les deux hommes se jaugèrent plusieurs secondes, Matteo ne lançant pas un regard en direction du corps inanimé de Tyron.
- Vraiment pas une proie facile... susurra le cowboy. Je m'appelle Venture, et comme tu l'avais deviné, je suis un chasseur, et tu es ma prime !
Il ouvrit le feu dans la petite pièce, incendiant le lit et creusant de profonds sillons dans les murs de plastique.
Matteo fit deux roulades rapides et bondit sur lui, esquivant de très peu le tir rapproché. D'une manchette, il fit voler dehors l'arme qui délivrait un feu d'enfer dans l'hôtel.
Il voulut rapidement en finir en close-combat avec Venture, mais celui-ci s'avéra très expérimenté sur la question. Le cowboy sortit un bâton de combat et flanqua deux coups méchants dans les côtes de Matteo. Le rattrapant par la queue de cheval, il essaya de le projeter contre les débris coupants de la fenêtre, mais Matteo, beaucoup plus vif, sauta derrière lui et tenta de lui briser un genou.
En vain, l'homme avait plus d'acier sur lui qu'un robot tueur, et seul un bruit d'une sonorité douteuse répondit au coup vicieux de Matteo.
L'agent de l'ASE sentit un drôle de courant le parcourir, émanant du dos de Venture, et il s'en éloigna prudemment. Ce dernier ne chercha même pas à se retourner, et le fusil à plasma attiré magnétiquement vers son emplacement dorsal vint percuter au passage Matteo, totalement surpris. D'un revers puissant, Venture vint cueillir un Matteo chancelant, qui roula au sol pour accompagner le coup.
Se relevant d'un bond, Matteo fit le bilan de la situation : Venture était fort, très fort, et possédait des ressources que l'homme de l'ASE ne connaissait pas encore. Il fallait compter avec, et comme Matteo ne semblait pas obtenir de résultat plus probant au corps à corps et qu'il commençait à s'essouffler, il valait mieux changer de tactique, et vite. Il fallait une tactique de... disons, deux bons centimètres de diamètre. Matteo sortit son colt de gros calibre, et trois balles détonèrent.
L'une d'elles seulement vint se loger dans le torse de Venture, qui étouffa un grognement mais ne sembla pas en être affecté. Matteo tenta de se planquer derrière le lit, après l'avoir renversé, mais comprit bien vite l'inutilité de son couvert quand le fusil à plasma vrombit des salves plus concentrées qui le traversèrent de part en part.
Quelques balles de colt réussirent en tout et pour tout à arracher une épaulière du cowboy, lui aussi très vif malgré sa stature.
Matteo n'aurait pas le temps de recharger, et il avait bêtement mis encore plus de distance entre lui et Venture, qui riait grassement de sa domination. Le match s'annonçait serré, mais Matteo n'avait pas dit son dernier mot.
Quand Venture réactiva son fusil, Matteo se mit en tête de défier les lois de la gravité, au grand étonnement du tireur au chapeau, qui le vit prendre appui sur un mur, puis le plafond, avant de se récolter un coup de pied sauté dans la mâchoire. Le pied de contact retomba au sol, et Matteo tourna sur lui-même pour décocher un coup de pied ascendant dans le menton carré du cowboy, dans un seul et même mouvement d'une fluidité époustouflante.
Venture recula de quelques pas sous la puissance du coup, cracha du sang, et tandis que Matteo lui bondissait dessus, ce fut un autre protagoniste qui le projeta puissamment par la fenêtre brisée, lui arrachant au passage des morceaux d'imper et d'armure.
- TYRON ! NON ! Cria Matteo en venant regarder le vide qui séparait la fenêtre de sa chambre du sol de l'hôtel, une flopée d'étages plus bas.
L'agent de l'ASE interpellé ferraillait toujours au contact de Venture, le vent faisant fouetter leurs deux trench-coats au dessus de leurs têtes. Tyron avait sauté avec Venture, plutôt que de seulement le pousser, au risque de le voir revenir...
La nuit tombée et l'anarchie du combat ne permettaient pas à Matteo de voir ce qui se passait entre Venture et Tyron. Il entendait des cris étouffés de défi comme de douleur, quelques bruits de balles ou de rafale ponctués par le vrombissement intermittent des jet-boots du chasseur de primes. Leur trajectoire était très erratique, mais clairement orientée vers le sol, à une vitesse trop grande pour être inoffensive.
Matteo se retira de l'encadrement de la vitre brisée quand il vit des arcs électriques de dysfonctionnement sur les propulseurs de Venture. Il fonçait déjà vers l'ascenseur.
- LACHE-MOI, CRETIN ! Cria Venture.
- ON FAIT MOINS LE FIER SANS SES PROPULSEURS, PAS VRAI ? Répliqua méchamment Tyron.
- TU VAS NOUS TUER TOUT LES DEUX ! Tenta d'opposer Venture, en perdant son chapeau par la vitesse de la chute.
- ON VERRA BIEN A L'ATTERRISSAGE ! Dit l'homme de l'ASE en décochant un coup de poing dans la mâchoire du cyborg.
Ce dernier l'attrapa par le cou dans un grognement, et serra. Tyron fit de même...
Matteo mit deux bonnes minutes à sortir dans la ruelle, bien plus qu'il n'était nécessaire aux deux hommes pour s'écraser. Un tas d'immondices divers mais bien emballés formaient un monticule impressionnant contre une grande portion du mur, bloquant la moitié de la largeur de la ruelle.
Matteo en vit sortir son collègue, qui en émergea de méchante humeur, mais visiblement indemne.
L'agent à la queue de cheval s'autorisa un soupir de soulagement. Tyron s'épousseta et farfouilla négligemment entre les sacs poubelles hermétiques tandis que Matteo regardait en l'air. Un poing sur les hanches, l'autre se grattant le menton, il tentait de jauger la hauteur de chute :
- Mais comment... commença-t-il.
- Pas de questions. Coupa net l'homme aux cheveux blonds, récupérant d'un geste souple un de ses revolvers argentés tombé au sol.
Matteo n'insista pas.
(NdA? : vous en pensez quoi, vous ?)
- Prochain arrêt : la boite de nuit.
Ils y arrivèrent aux alentours de vingt-trois heures, la rue jouxtant celle de la boite de nuit les guidant de ses badauds vers l'endroit "branché".
Une pluie âcre s'était mise à tomber sur ce quartier de Merhuos, et les appareils de contrôle météorologique étaient déjà au travail pour neutraliser l'orage imprévu en dissolvant sa structure.
Les lunettes macroscopiques étaient de nouveau braquées sur les émissaires de l'ASE, assez en contre-haut et dans l'ombre pour ne pas éveiller le moindre soupçon. Des points verts dans la nuit sans lune...
- La chasseur a échoué, dit la voix métallique.
- Phase deux : repérez la cible et éliminez tous les obstacles.
- Reçu.
Tyron et Matteo adoptèrent l'attitude nerveuse des jeunes gens qui faisaient la queue pour entrer au Dance'Ark. Le panneau lumineux éclairait violemment la rue de ses lettres stylisées, et l'on entendait le tremblement binaire étouffé de la musique à l'intérieur.
Les deux gorilles à l'entrée n'étaient là que pour trier ceux qui rentraient. Matteo en repéra quatre autres habilement dissimulés aux alentours, ceux-ci équipés de scanners de haute technologie, afin de repérer les gens armés et dangereux.
Matteo sourit. L'ASE avait beaucoup plus de capitaux, et donc de ressources, que Taurus, c'était une certitude.
Les brouilleurs de l'ASE entrèrent en action, et, étrangement, on les laissa rentrer.
A peine passée l'antichambre qui contenait le vestiaire, une pulpeuse créature de couleur verte sauta aux visages des deux hommes, à l'instar d'un nombre agressif de décibels.
- Bienvenue au Dance'Ark, dit-elle d'une voix sensuelle et bourrée de sous-entendus aguicheurs.
- Vive les hologrammes à déclenchement automatique, ponctua Tyron.
La créature disparut dans un dernier sourire complice, ignorant la remarque de l'homme blond.
Les deux agents se séparèrent sans un mot. Matteo commença à arpenter les pourtours de la grande salle asymétrique, et Tyron vint se placer stratégiquement au milieu de la piste de danse.
Ce dernier trouva évidemment tout de suite une compagne, qu'il entreprit de séduire sans scrupules. C'était détourner l'entraînement de l'ASE pour repérer les personnes seules et "abordables", mais ça, la jeune femme l'ignorait...
D'un geste négligent, les agents de l'ASE, pourtant à deux endroits différents, placèrent simultanément des écouteurs à leur oreille, avec une tige à micro orienté vers la bouche. Ca manquait de discrétion, mais ils y gagnaient en efficacité :
- Matteo ?
- J'y suis.
- Ok.
La jeune femme interloquée demanda :
- C'est quoi ?
- Chuuut, lui fit en souriant Tyron. Ne le répétez pas, mais je suis un agent secret en mission pour la soirée.
Elle lui lança un regard incrédule, attendant autre chose que des mots pour être convaincue...
- Vous voulez peut-être voir mon badge ? La taquina-t-il.
- Que diriez-vous de votre arme plutôt ?
Tyron vérifia qu'aucun vigil (en uniforme ou en civil) ne regardait dans sa direction, et souleva un pan de son imper, révélant une moitié de revolver brillant et ouvragé.
La jeune femme ne put réprimer une exclamation, noyée dans le bruit ambiant, et se mit tout à coup à être mieux disposée envers l'homme au bouc blond et aux yeux vert sombre...
Matteo suivait la discussion, n'ayant pas vraiment le choix, d'un air profondément ennuyé.
-
Et vous allez tuer des gens ? Demanda-t-elle, excitée.
- Tout plein. Répondit-il calmement.
-
Vous m'emmènerez avec vous ? Dit-elle.
- C'est possible... Fit-il, mystérieux. C'est très dangereux, vous savez.
- Pfff.... Tyron... Fit Matteo d'un ton très las.
- Ca vous dirait de devenir agent secret ? Continua-t-il en l'ignorant.
- Mon dieu, épargne-moi ça ! Implora Matteo par l'intercom.
-
Oh ouii !! Répliqua-t-elle.
C'est dur ?
- Vous devriez y arriver, jugea-t-il d'un ton de connaisseur.
- Ce qu'il faut pas entendre...
-
Moi aussi je pourrais tuer des gens ?
La discussion dura deux bonnes minutes avant que le regard de Matteo ne soit attiré par deux personnes.
Un homme, petit mais trapu, et une jeune fille rousse.
"Heureusement qu'il y avait des photo portraits dans le dossier de Randall", se dit Matteo. La petite fille avait troqué ses bouclettes contre une coupe au bol, et Marc Taurus savait passer inaperçu dans la foule.
Ils disparurent du champ de vision du jeune homme en blanc.
- Tyron ! Je les ai perdus !
Son interlocuteur en déduisit sans poser de questions inutiles qu'il les avait forcément trouvés s'il les avait perdus de vue, et qu'ils devaient se trouver encore dans la salle si son homologue jugeait bon d'attirer son attention.
Tyron cessa de danser et scruta la foule tout autour de lui à la recherche du "couple", à tout le moins de la jeune fille.
Sa nouvelle conquête était toute émoustillée et nerveuse à l'idée d'assister à une mission secrète en compagnie d'un bel agent d'une organisation obscure.
Matteo courait sur la périphérie de la salle pour tenter de retrouver rapidement Taurus.
Un gorille avait vu le manège de l'homme brun, et décida de l'intercepter pour lui poser quelques menues questions.
Un direct lui éclata les cartilages du nez, et un coup de genou dans l'entrejambe accapara tout ce qu'il lui restait de pensée. Matteo le poussa sans ménagements dans un coin, poursuivant son exploration visuelle sans même y prêter attention.
- Alors ??? Pressa-t-il son collègue et ami.
Tyron tournait toujours sur lui-même, le regard partout à la fois.
La foule s'écarta un tout petit peu, juste assez :
- Je l'ai, entendit Matteo, en même temps que le bruit d'un chien de revolver qu'on arme.
- Non ! Fais gaffe à la fille !
Tyron n'entendit jamais la fin, car il débrancha son intercom, et sortit d'un seul mouvement son autre revolver. Il ouvrit le feu sans attendre.
La salle s'illumina de lumières et de bruits inhabituels, et la foule dansante se transforma en cohue criante.
Un pli releva le coin de la bouche de Tyron...
"Boucles rousses" le tenait par l'imper, le regard neutre fixé sur le corps de Marc Taurus, étalé sur la piste de danse.
Matteo arriva en quatrième vitesse, aussi soulagé que la fille soit indemne qu'en colère face à l'impulsivité de Tyron.
- C'est grillé pour la discrétion, dit Matteo.
- Mon héros ! S'exclama la compagne de Tyron, qui l'embrassa sans gène alors que la boite se vidait peu à peu dans le plus grand chaos. Où sont les renforts ?
- C'est moi les renforts, dit Matteo, t'as remarqué ? Continua-t-il à l'adresse de Tyron.
- Oui...... A TERRE !
Matteo attrapa la petite fille, Tyron la jeune femme, et ils les jetèrent violemment derrière les tables et les canapés de la salle.
Quelques boules tombèrent ça et là dans le Dance'Ark quasi-vide, ou en passe de le devenir. Des balles fusèrent. Les deux agents sortirent leurs armes, et, roulant au sol, noyèrent de plomb l'étage et les portes de services.
Une ribambelle d'inconnus était entrée dans la boite. Equipés d'armes et d'armures sophistiqués, ils semblaient crouler sous les gadgets électroniques de tous types. Tous portaient des masques noirs d'où dépassaient des objectifs de visée de lunettes macroscopiques, tels des constellations de points verts brillants entre les stroboscopes du Dance'Ark.
- Les hommes du G.H.O.S.T ! Cria Matteo.
- Mais qu'est-ce qu'ils foutent là ? Lui répondit fortement Tyron en vidant un autre de ses chargeurs.
- Ca doit être eux qui ont saboté l'entrepôt !
...
Depuis la conquête spatiale, les gouvernements terriens ont vite dû abandonner la lutte pour le pouvoir au profit des grandes corporations multi-planétaires.
Ente les gouvernements résistants, les nouveaux empires et les toutes-puissantes corpo-nations, les agences de tout type et de tous buts ont poussé comme des champignons à travers la galaxie. Enormément de capitaux ne demandaient qu'à être dépensés et placés dans des organismes de défense, commandités ou, au fur et à mesure, indépendants.
L'A.S.E, Advanced Security Enforcement, est une de ces organisations, dont les buts divers comprennent la défense des gouvernements indépendants démocratiques, la sauvegarde des antiquités galactiques, le rétablissement et la conservation de l'équilibre des forces dans l'univers, la recherche et le développement de l'Humain et de ses outils d'exploration galactique, et bien sûr : l'armement.
On ne peut pas exactement les qualifier d'honnêtes et intègres, mais ils s'en rapprochent selon les missions et les motivations de Ceux qui Dirigent.
Le G.H.O.S.T, General Hiring Organism of Specialists and Technology, est une agence ennemie. Sans aucun scrupule, leur but est de collecter et d'optimiser tout l'armement galactique, en vue d'utilisation personnelle. Derrière chaque entreprise de recherche, derrière chaque brevet concernant des technologies de pointe ou derrière chaque trafiquant d'armes se cachent souvent des hommes infiltrés du GHOST.
Hormis leur couverture, ils louent aussi leurs milices armées, terriblement bien équipées, et bien entraînées, au plus offrant, quand elles ne sont pas dispatchées en mission directe pour le GHOST, comme c'est probablement le cas ici...
...
Deux grenades sensorielles explosèrent, mais les hommes de l'ASE ne les avaient pas attendues pour tuer leurs lanceurs et se mettre à l'abri. Matteo récupéra plus vite que Tyron, et intercepta le premier Vengeur qui entra. Ce dernier activa son épée courte énergétique, mais Matteo n'était pas de ceux contre qui cela suffisait. Attrapant le poignet de l'homme, il lui brisa le bras avant de récupérer l'arme et de charger au milieu des Ghosts.
N'ayant que de trop peu maniables fusils et pistolets d'assaut surgonflés, les Ghosts firent plus fondre, exploser, liquéfier et enflammer les murs et le sol que les agents de l'ASE déchaînés.
Tyron avait déjà bondi à l'étage, assommant et castagnant toutes les lunettes macro et les membres hérissés de claviers et de boutons de contrôles qu'il rencontrait. Matteo avait mis à profit le coeur de son combat pour récupérer et retourner contre leurs propriétaires les armes de poing et autres lames énergétiques de ses adversaires.
Les Ghosts étaient professionnels, efficaces et puissants, mais Tyron et Matteo étaient tout simplement des virtuoses. Dans un duel de férocité pure, les techno-agents étaient débordés par les vétérans éprouvés par des années de missions périlleuses et de combats sans règles.
Une fois débarrassé de ses opposants, Tyron alla récupérer rapidement la jeune fille. Matteo en termina avec les siens en dégoupillant quatre grenades sensorielles au centre de l'altercation. Plus agile qu'un félin, il bondit à l'abri alors que les spécialistes du GHOST assistaient impuissants à leur défaite. Les grenades explosèrent dans un kaléidoscope de sons, d'odeur et de lumière, saturant toutes les perceptions des soldats touchés et les laissant inconscients dans leur overdose physiologique.
La confrontation fut donc brève et unilatérale. Les techno-agents, trop pressés et trop peu nombreux, n'avaient pas la compétence nécessaire pour affronter en milieu clos deux agents de grade Six dans la hiérarchie de l'ASE.
La jeune femme séduite par Tyron applaudit de joie et d'admiration alors que les agents de l'ASE s'enfuyaient rapidement de la boite de nuit, leur objectif de mission au creux des bras. Matteo nota au passage que les gorilles avaient été "neutralisés" pour plus de sûreté, tactique courante dans les manoeuvres du GHOST.
Ils hélèrent un taxi, enjoignant ce dernier à rejoindre aussi vite que possible l'astroport, moyennant une liasse de billet équivalente à une semaine de salaire du chauffeur. Le taxi, ravi, empocha l'argent et fit rugir ses moteurs, grillant toutes les limitations de vitesse au passage.
La mission était en passe d'être accomplie, ce n'était plus le moment de faire en finesse. Les deux agents foncèrent au travers de l'astroport une fois sur place, forçant quelques barrages de contrôle et de vérification, assommant au passage quelques pauvres policiers qui ne s'attendaient pas à un tel déploiement d'opposition dans l'astroport d'habitude tranquille. Un ou deux membres du Ghost en civil ou en combinaison tentèrent bien de les arrêter, mais ils se retrouvèrent en première page des journaux du matin, avec pour titre
"règlement de compte dans l'astroport du secteur 47".
Le décollage fut facilité par l'arrivée d'un contingent de la flotte de sécurité de l'ASE, qui couvrit leur retraite et se mit à traiter avec les ultra-corporations pour étouffer le manquement aux règles de Merhuos avec diplomatie...
Le vaisseau banalisé de la Réseau-Corp activa ses propulseurs trans-spatiaux, ses trois personnes à bord...
RAPPORT DE MISSION
Code : 056-ASE-T408-|[Ty-045]||[Meo-163]|
Date : 60.Kry.2855.(2007)
Déroulement de la mission :
voir rapport complémentaire : Dossier Wolvs-Z042 (SMTL) , rapport codexé Timehns , contact sécurisé sur Merhuos , (Code confidentiel) , rapport codexé |[Ty-045]||[Meo-163]| , agent de 6ème grade , (Code sécurité) .
Pertes sous responsabilité :
(||) 3 hommes, 2 femmes, civils de Merhuos : Tobias Gift, Mark Taurus, Jordan Silm, Helen Feran, Missya Khan.
Conclusions :
- mission principale : Récupérer le passeur : Effectuée .
- mission secondaire : Récupérer intacte la puce : Effectuée .
Notes complémentaires :
GHOST en place sur Merhuos, et en connaissance du passeur. Possibilité d'infiltration des agents en place.
Ultra-corporations mises en contact accidentellement avec l'ASE (4, voir rapport détaillé).
Mise en contact avec chasseur de primes (codexé Venture).
> Placer le passeur sous protection, évacuer Randall Timehns, contact de l'ASE (voir rapport).
> Envoyer une mission de désinformation dans chacune des ultra-corporations.
> Envoyer une mission de reconnaissance dudit codexé Venture.
> Envoyer une équipe de nettoyeurs en cas de complications.
... Rapport terminé ...
Par Skatlan.